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Tamiflu contre la grippe : des centaines de millions pour rien ?

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Influenza Treatment

Photo : Getty Images

Vous avez la grippe ? Ce n’est pas drôle. Vous prendrez peut-être rendez-vous chez votre médecin pour être soigné. Avec quoi ? Des antibiotiques ? Aucun intérêt : la grippe est d’origine virale. Alors pourquoi pas des «antiviraux» — ces «antibiotiques» pour les virus ?

Sante_et_science

Détrompez-vous, parce que les antiviraux contre la grippe (Tamiflu et Relenza) n’auraient peut-être que peu d’effet, en plus de vous exposer à certains risques. Donc, à moins de complications ou de situations particulières, votre médecin ne pourrait pas grand-chose pour vous.

On s’en doutait déjà, mais la confirmation semble être tombée il y a quelques jours. Pour être bien honnête, les antiviraux ont tout de même une «certaine» efficacité : ils diminuent la durée de la grippe. De 7 jours à 6,3 jours. Seize heures de moins de grippe. Est-ce tout ?

Ils ne préviendraient ni les hospitalisations ni les complications sérieuses — pneumonies, bronchites, sinusites et autres infections secondaires. Et la preuve qu’on diminue le risque de transmission ou d’excrétion du virus ne serait pas encore faite. Alors ?

Mais est-ce qu’on risque quelque chose ? Justement. Plus de nausées et de vomissements (environ 4 %) chez les adultes. Et même jusqu’à 1 % d’effets psychiatriques. Certaines évidences montreraient aussi que ces médicaments empêchent certains patients de produire assez d’anticorps pour bien combattre l’infection.

D’une part, vous en avez peut-être pris pour rien. D’autre part, nous avons collectivement beaucoup dépensé pour en stocker «au cas où», mais peut-être pour rien.

Des conclusions d’autant plus importantes que l’utilisation de ces médicaments a augmenté de manière marquée depuis la crise du virus H1N1.

Des données complètes pour la première fois

Qu’est-ce qui a cloché ? Pourquoi ne le savait-on pas déjà ? Simple : ce serait en raison du manque d’accès aux données de recherche. Ce qui vient justement d’être réglé, du moins pour ce cas précis, à la suite des pressions conjointes du prestigieux journal BMJ et de la collaboration Cochrane. Il faut lire sur le site de BMJ la bataille épique qu’ont menée ces organisations pour faire toute la lumière.

Cela peut sembler abstrait, mais il faut connaître le phénomène appelé «biais de publication». Pour le dire simplement, la probabilité de publication d’une étude scientifique est différente selon le résultat de cette étude.

Une étude positive, favorisant par exemple un nouveau médicament, a plus de chance d’être publiée qu’une étude neutre ou, pire, qu’une étude négative. Or, les études financées par les fabricants ont plus de chances d’êtres positives. Des phénomènes bien démontrés.

Pour ces médicaments visant à combattre le virus de la grippe, plusieurs données non publiées n’ont été rendues disponibles que récemment pour les chercheurs. Les nouvelles conclusions sont donc basées à la fois sur les données publiées et celles qui ne l’étaient pas.

Les chercheurs de Cochrane les ont analysées. Leurs conclusions sont solides. Malgré ce que semblent en dire les fabricants de ces produits.

Cochrane : une vision objective

Parce que Cochrane, c’est plus de 22 000 scientifiques qui travaillent partout dans le monde à partir de méthodologies extrêmement rigoureuses pour donner des réponses à beaucoup de questions qu’on peut se poser.

Une caractéristique fondamentale de Cochrane, c’est de ne pas être subventionnée par les pharmaceutiques. Il ne peut non plus y avoir de conflit d’intérêts au moment où ils évaluent un produit ou une situation clinique. Au contraire de tous les guides de pratiques, où la plupart du temps, il faut des pages entières pour établir l’ensemble des conflits d’intérêts potentiels.

De tels conflits d’intérêts ont d’ailleurs entraîné la démission d’éditeurs de grands journaux, découragés de ne pouvoir assurer à leurs lecteurs des révisions d’articles libres vraiment indépendantes.

Or, des conclusions ainsi transformées, quand il s’agit de la première étude de données complètes exemptes des billets de publication, c’est un coup de tonnerre dans le domaine de la recherche médicale.

Quand on sait qu’il existe tellement de situations cliniques où les données complètes ne sont pas disponibles, qu’arriverait-il si on soumettait aux mêmes impératifs d’autres questions cliniques d’importance ?

Un plaidoyer pour la transparence

La question fondamentale posée, c’est celle de la transparence dans la construction de la science. Si les données ne sont pas rendues disponibles, il est impossible, même avec les meilleures méthodes, de se faire une idée adéquate des vrais résultats cliniques.

Cette publication est donc un argument de poids en faveur de l’obligation de rendre publiques les données, afin de s’assurer que nos décideurs choisissent les meilleures options de traitement et n’engagent pas de dépenses inutiles sur la base de données partielles.

Comme le mentionne le Dr David Tovey, éditeur en chef de Cochrane (je traduis) :

«Nous avons maintenant l’étude la plus robuste et complète sur les inhibiteurs de la neuramidase qui existe. Même si on pensait que le Tamiflu pouvait réduire les hospitalisations et les complications sérieuses de l’influenza, notre analyse met en lumière qu’il n’existe pas de preuves que ce médicament possède cette efficacité et qu’il semble même que son usage peut mener à des effets secondaires qui n’étaient pas entièrement rapportés dans les publications originales. Cela montre l’importance de s’assurer que les données provenant des études sont transparentes et accessibles».

Enfin, il faut écouter la Dre Fiona Godlee, éditeur en chef de BMJ (je traduis encore) :

«Les organisations et les compagnies pharmaceutiques doivent s’engager à rendre toutes les données disponibles même si on doit remonter 20 ans en arrière. Autrement, nous pourrions à nouveau agir par réflexe en réaction à une potentielle pandémie. Mais pouvons-nous vraiment nous le permettre ?»

Diminuer les coûts des médicaments

Une dernière mise en contexte s’impose : le Canada est le deuxième pays au monde pour ce qui est du coût des médicaments. Et les données récentes montrent que le Québec dépense pour ses médicaments environ 30 % de plus qu’ailleurs au Canada. Nous habitons un des endroits au monde où le coût des médicaments est très élevé !

Des propositions tout à fait raisonnables, comme une assurance publique intégrale des médicaments et des pratiques de contrôle des coûts rigoureux comme en Nouvelle-Zélande, sont à notre portée. Ils pourraient nous aider à contrôler les factures des médicaments qui ont plus de 6 à 20 % des coûts globaux de la santé (privés et publics) chez nous.

Bien entendu, le Québec a été historiquement favorable aux compagnies pharmaceutiques, notamment parce qu’il s’y faisait beaucoup de recherche. Il semble pourtant que la quantité de recherche a beaucoup diminué, ayant été délocalisée vers des pays où elle coûte bien moins cher à conduire, comme la Chine et l’Inde.

Nous n’avons plus les moyens de rester passifs devant la hausse du coût des médicaments. Il est temps de réfléchir sérieusement à toutes ces questions. Et la transparence en recherche fait partie des actions à prendre.

* * *

À propos d’Alain Vadeboncœur

Le docteur Alain Vadeboncoeur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, il enseigne l’administration de la santé et participe régulièrement à des recherches sur le système de santé. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter : @Vadeboncoeur_Al.

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